Dans les hôpitaux français, les services d’urgences sont malades. Le constat est sans appel : les urgentistes ne parviennent plus à gérer un afflux toujours plus intense de patients, faute de lits disponibles. Un problème qui n’est pas nouveau, mais qui est accentué par tous ceux qui se rendent aux urgences pour soigner des petits bobos sans gravité.
«Il a déboulé ivre dans le service et s’est mis à courir tout nu dans les couloirs en hurlant ! On a dû le maîtriser et lui donner une chambre». Cette situation cocasse qu’a vécue Sophie, aide-soignante, n’est malheureusement pas une exception : «Des gens se présentent aux urgences alors qu’ils n’ont que des petites plaies. Un pansement et ce serait réglé, mais non, ils font quand même le déplacement …» soupire-t-elle. Résultat : des salles d’attente bondées, des brancards qui s’entassent contre les murs et un personnel qui s’épuise à gérer des petites coupures ou des maux de tête, les urgences subissent une crise sans précédent. La situation est tellement grave que certains établissements ont fait appel à des retraités, notamment dans l’Oise, pour aider à désengorger les services et prendre en charge les blessures de moindre gravité. C’est le cas de Michel, ancien directeur des soins : «Une fois, j’ai vu une personne arriver en pleine nuit pour une rage de dents parce qu’aucun dentiste n’était disponible. On m’appelait tous les jours pour me demander de faire de la place et c’était dans les années 1975-1980 alors le problème n’est pas nouveau !». Et si les patients faisaient tout simplement preuve de davantage de bon sens ? Facile à dire, mais dans les faits, les urgences sont surtout une solution de facilité. La prise en charge est souvent extrêmement longue, mais elle est garantie. Le patient est assuré de ne pas devoir avancer ses frais de santé et de pouvoir passer tous types d’examens sans devoir attendre des mois pour fixer un rendez-vous.
«Les urgences sont devenues une habitude»
En quelques semaines seulement, une série de décès a touché les hôpitaux de France. À cause de l’attente interminable, une sexagénaire a été victime d’une crise cardiaque foudroyante à Rennes : elle attendait depuis des heures d’être examinée. Mais les personnes âgées ne sont pas les seules concernées puisqu’à Lyon, une jeune fille de 19 ans a dramatiquement perdu la vie après une simple otite. Mal diagnostiquée, elle est décédée d’un abcès cérébral qui a provoqué une hypertension intracrânienne fatale. Ces morts ne font que confirmer le malaise du système hospitalier confronté à un afflux de patients, à un vieillissement de la population et à des ressources budgétaires en baisse. Chose inédite : un classement exceptionnel a récemment été mis en place pour décompter le nombre de personnes qui dorment sur des brancards dans la nuit ; c’est le «No Bed Challenge», terme volontairement goguenard qui établit les établissements les plus saturés de France. La palme revient à un centre hospitalier en Vendée, mais pas de quoi se réjouir, il est loin d’être un terme honorifique. C’est une démarche sans précédent qui ne semble pourtant pas étonner Michel : «Aujourd’hui, les médecins envoient systématiquement les gens à l’hôpital pour de simples points de suture, car ils ne veulent pas les faire eux-mêmes ! C’est devenu une habitude, surtout quand les gens ont besoin de soins à une heure tardive». Selon le site de statistiques Statista.com : «En France, de 2013 à 2016, les services des urgences français enregistraient plus de 18,5 millions de passages», des chiffres qui n’inaugurent rien de bon et qui ont poussé plusieurs membres du personnel à se mettre en grève. Sur le territoire national, 97 établissements sur 650 ont activé le plan «Hôpital en tension» pour libérer des lits : tous tirent la sonnette d’alarme.