Clément Gautier, lors de sa mission humanitaire à Samos , été 2020. Courtoisie de Louise Requinⓒ
Clément Gautier, lors de sa mission humanitaire à Samos , été 2020. Courtoisie de Louise Requinⓒ

Depuis les études sur les vétérans des guerres du Vietnam et du Golfe, dans les années 1990, l’encadrement des troubles du stress post-traumatique est en constante amélioration chez les militaires. Quant aux ONG, il faut attendre encore une dizaine d’années pour qu’elles s’approprient ces travaux, afin de prendre en charge leur personnel. Pourtant, après des mois à côtoyer des histoires difficiles, certains rentrent en France en devant réapprivoiser leur quotidien. C’est le cas de Clément Gautier, infirmier. Parti l’été dernier en mission humanitaire sur l‘île de Samos, en Grèce, il revient avec un lourd bagage.

Une partie de nous a pris l’avion. L’autre reste toujours sur place« , Clément Gautier se livre sur ses impressions au retour de sa mission humanitaire, son  regard bleu et franc focalisé sur l’écran.  Le jeune breton de 26 ans souhaite orienter son parcours professionnel vers les ONG. Habitué de l’engagement et du don de soi, il entend parler de Med’EqualiTeam, jeune association, par un ami, bénévole dans l’équipe logistique. L’expérience d’une mission est alors une aubaine. 

Cependant, le retour en France se révèle plus délicat que prévu. Les manifestations en sont multiples, dominées par des cauchemars et un comportement apathique et mélancolique. Autant de préoccupations qui le poussent à rencontrer un psychiatre, spécialiste des troubles du stress post-traumatique. « L’échange avec un professionnel de santé met en confiance. C’est calme. Posé. J’ai raconté mon expérience. Ça permet de trouver un équilibre thérapeutique entre ce qu’il pense qu’on doit faire et ce qu’on pense être capable de faire. C’est beaucoup de travail de projection. Son expérience (ndlr: dans le domaine du stress post-traumatique chez les militaires et volontaires expatriés) a beaucoup aidé à s’adapter à mon profil. Pour moi la clef c’était vraiment la routine et reprendre un travail ». Ce qui est, dorénavant, chose faite pour lui. 

A Samos, au sein du camp, “l’activité principale de la clinique reste la consultation médicale et tout ce qui est « wound-dressing » donc pansement sur coupure, brûlure, blessure, etc. ». “L’autre partie est le triage, donc comme aux urgences en France, même si l’équipe infirmière est également amenée à faire des consultations basiques”, expose-t-il. Des actes de soin répétés durant trois mois. 6 jours sur 7. 8 heures par jour (en fonction des besoins). Le tout au milieu des tensions gréco-turques ravivées durant l’été. Tensions qui charrient, en rythme, les embarcations  vers l’île. Chacune avec son lot d’histoires. Chacune avec leur lot de douleurs. « Ils sont comme nous. La seule différence c’est leur passeport, leur histoire. Il m’est arrivé de travailler avec, pour traducteur, un infirmier qui avait le même parcours que moi. Simplement pas le même passeport. Ça pourrait être moi« , explique Clément Gautier. 

Habitué, de par son métier, à « cloisonner« , le jeune homme évoque des « sentiments partagés » une fois revenu sur le sol français: d’un côté, « rentrer chez soi, retrouver sa famille, ses amis, ses proches et pouvoir faire une pause avec tout ça. Et [de l’autre] partir d’un travail plaisant, laisser ces collègues avec qui on a un lien fort« . C’est un peu plus tard, avec l’absence d’activité qu’il « fait le bilan, [et que] les cloisons cèdent« .  Ces “sentiments partagés”, évoqués précédemment, sont très vite rejoints par du ressassement.  Le « retour à la normale » est difficile, « j’ai dû réapprendre à vivre ici, réapprendre à faire face aux problèmes parce qu’ils paraissent vraiment bénins comparés à cette période de mission humanitaire et on s’en désintéresse complètement« . 

Mieux prévenir, et prendre en charge : les ONG développent leurs dispositifs

Épuisement émotionnel, burn’out, stress post-traumatique et difficultés de réadaptation ne sont pas la norme. Cependant, les organisations à but humanitaire s’organisent et prennent la responsabilité de leur personnel.  Nicolas Veilleux, psychologue à Médecins Sans Frontières (MSF), rappelle que « la plupart des volontaires reviennent sans expérimenter le moindre problème« . 

Quelques chiffres sur les affects psychologiques des volontaires en humanitaires

En amont, la prévention est de mise. La cellule psychologique de l’ONG, qu’il dirige, développe un programme de prévention similaire à base d’un briefing en amont de la mission. Il précise qu’il s’agit d’ “alerter sur les risques psycho-sociaux chez les humanitaires, qui peuvent mener au burn’out ou à l’épuisement émotionnel« . Moritz Lüchinger, coordinateur de l’association Med’EqualiTeam, présente le procédé de recrutement : « Je prépare les gens à ce qu’ils vont vivre ici en tant que soignants. Je vérifie qu’ils comprennent, puis je laisse s’écouler 4 à 5 jours avant de les recontacter. Pour être sûr qu’ils veuillent toujours venir ». Les soignants font partie des métiers les plus sujets aux risques d’épuisement émotionnel et au burn’out. 

En conséquence, leur suivi est d’autant plus pris au sérieux que s’ajoutent, à Samos, l’expatriation, les tensions géopolitiques gréco-turques et une sollicitation émotionnelle continue due aux histoires parfois extrêmement violentes des réfugiés. Clément Gautier confie qu’il « rencontre  beaucoup de scarifications, très profondes et conséquentes. Un homme s’est présenté avec une scarification impressionnante sur le torse, d’une vingtaine de centimètres. Il disait que sa situation était désespérée et qu’il avait envie de se faire du mal pour s’échapper. Un autre l’a consulté avec des lacérations sur le bras, faites au couteau. Au début, j’ai cru qu’il avait été attaqué par un animal sauvage… « .  C’est en définitive « l’accumulation » qui s’avère complexe à gérer émotionnellement et psychologiquement. 

Ainsi, pour faire face, « une hotline et des consultations, ainsi que des jours de repos supplémentaires » sont mis à disposition des équipes. Moritz Lüchinger ajoute que chacun est libre de quitter l’île, et la mission, au besoin. Médecins Sans Frontières travaille, depuis une dizaine d’années, à sa cellule de soutien psycho-sociale. Elle compte entre 5 et 6 psychologues. Tous formés à intervenir rapidement en cas de besoin. Là où la première ONG française a les moyens de se munir d’un programme de suivi post-mission, le bât blesse pour la jeune organisation. Un questionnaire est donné en fin de mission par Med’EqualiTeam à chaque volontaire pour jauger de leur état d’esprit. Moritz Lüchinger regrette de seulement pouvoir « appeler une à deux semaines après leur départ pour voir comment ils vont et s’ils ont des besoins ».

Il espère qu’avec son développement, l’organisation puisse progresser sur ce domaine. À savoir, adopter, comme son aînée, un débriefing complet de mission. Ainsi qu’une aide à la préparation au retour. Concernant la gestion des volontaires, Nicolas Veilleux, de MSF, leur recommande fortement « d’espacer de deux mois les missions ». Dans le but de « laisser retomber l’adrénaline et retrouver cette routine, pour se réadapter à son environnement ».  

Clément Gautier, lui, se voit déjà repartir. Sa première expérience lui offre un recul concernant la gestion de son prochain retour.  Et confirme sa volonté de faire de l’humanitaire sa spécialité.